Papiers
Publié le 29 décembre 2005, mis à jour le 9 août 2008.

Aider en Afrique Noire
(rien que ça)

Notez que je resterai dans une optique de développement uniquement. Ce terme signifie pour moi "les processus d'organisation des êtres humains" et est à prendre au sens large. Si l'on devait définir un but à ces processus, alors disons que chaque individu puisse se réaliser au mieux. Mais ne préjugeons pas de si cette réalisation passe ou non pour l'essentiel par des choix personnels.

Sommaire

L'humanitaire

Attention aux actions humanitaires qui aboutissent sur le long terme à des logiques d'assistanat. Méfions-nous en particulier du don de nourriture qui détruit les productions locales par concurrence déloyale.

Attention aussi aux humanitaires qui opèrent en situation de guerre : une partie de leur aide est détournée par les belligérants. Financer un camp de réfugiés dans une zone de guerre, c'est aussi financer la guerre, donc créer de nouveaux réfugiés. Cette manne humanitaire incite même les stratèges guerriers à affamer des régions qui n'auraient pas dû l'être naturellement. (cf. "L'Afrique" de Sylvie Brunel, éd. Bréal, chap. 8)

Si les actions humanitaires me semblent souvent peu efficaces pour développer (ie. construire une organisation sociale), elles sont en revanche très adaptées pour reconstruire. En particulier là où une organisation de société existante vient d'être détruite par une catastrophe naturelle. En jouant un rôle d'assureur, l'humanitaire d'urgence s'intègre donc dans une démarche de développement et permet de reprendre le processus d'organisation là où il en était. A condition que l'urgence en question ne soit ni prévisible ni d'origine humaine. Autrement, le résultat risque une fois de plus d'être une déresponsabilisation et de l'assistanat.

Les choqués des images chocs pourront choisir :

Accompagnement et développement personnel

Une différence frappante que j'ai vécue et lue sur ce continent, est le manque d'accompagnement envers celui qui crée. En Occident, quand un individu se lance dans un projet (création d'entreprise, projet humanitaire, associatif, artistique, etc.) son entourage va spontanément le soutenir. Et notamment en cas de problème. Pourquoi ? Parfois par intérêt, souvent par peur du gâchis, toujours parce que notre morale le suggère.

A contrario -et ceci pour toutes les ethnies que j'ai observées- un innovateur africain se retrouvera souvent seul face à l'adversité. Il manquera de conseils, de mentor. Pire : dès le moindre début de réussite, son entourage et sa morale lui demanderont de partager les fruits de son travail. Ce qui fragilisera son projet. Des personnes de bonnes volontés pourront ainsi se retrouver en échec, perdre confiance en elles... et ainsi, de moteur, se transformer en poids pour la société.

Les structures d'accompagnement des personnes jouent à mon avis un rôle essentiel. Mais attention : les associations dont l'objectif est d'exporter des techniques de pays industrialisés ne sont pas dans une démarche d'accompagnement individuel. L'adage "donnez un poisson à quelqu'un il mangera un jour, apprenez-lui à pêcher il mangera toute sa vie" sous-entend que la faiblesse de la production est technique. Or la problématique du développement en Afrique sub-saharienne est essentiellement sociale et culturelle, l'ignorer peut conduire à des logiques paternalistes dangereuses.

Les convaincus des vertus éducatives se tourneront vers :

Les Droits de l'Homme

Des associations de promotion et de défense des droits humains contribuent au développement des sociétés en cherchant à instaurer un Etat de Droit. En pointant les violences arbitraires et la corruption, elles rendent les Etats plus transparents. Leurs actions ne se tournent jamais vers l'assistanat, il est donc possible d'y contribuer les yeux fermés. (sauf sur leurs comptes naturellement, comme partout)

Attention cependant à la critique facile ou à la tentation de "libérer" des pays ! Les Etats en Afrique Noire -tout autoritaires qu'ils soient- jouent un rôle clef dans la fédération des sociétés. Au moins pour les pays en paix, ne voir dans les agents de l'Etat que des oppresseurs, revient à les empêcher de progresser. Les hommes en armes sont à l'origine des petites gens. Ne jamais oublier qu'une fois formé, un ancien oppresseur peut faire un bon policier. Préférer voir les actions positives d'un Etat est parfois plus constructif que de s'en servir comme bouc émissaire.

Quelques classiques pour les fans du Droit râleur :

Eglises

Pour se développer, les sociétés africaines doivent revoir certaines de leurs traditions. Dans ce cadre, les missionnaires catholiques que j'ai rencontrés sont des intervenants particulièrement efficaces :

  1. Ils vivent avec les communautés, en y passant parfois leur vie entière. L'argent qu'ils apportent est beaucoup plus destiné au travail qu'au confort. Ce qui leur donne une légitimité vis à vis des populations que peu d'acteurs internationaux ont.
  2. Ils apportent un mode de vie (avec les croyances) de remplacement. Ils sont à ce point convaincus de la supériorité de leurs valeurs, qu'ils tentent de remplacer les anciennes !

Cette colonisation des idées est faite sans arrière-pensées, en toute conscience. Elle est, pour ce que j'ai pu voir, profondément structurante et fédératrice pour les sociétés locales. Les gens de l'Eglise accompagnent aussi beaucoup de jeunes dans leur développement personnel. Surtout, les religieux que j'ai rencontrés au Tchad étaient particulièrement conscients des dangers de l'assistanat : ils font payer partiellement ou non la plupart de leurs services.

Une structure tenue par des religieux a en outre toutes les chances de tenir dans la durée. Le (petit) personnel religieux est à peu près incorruptible, et la vigueur au travail d'une soeur au bout de 20 ans d'activité a bien des chances d'être la même qu'au début. Je ne connais aucune autre organisation qui puisse se vanter d'un tel travail de fourmis.

Je sais que cette colonisation pose un problème moral à nombre de mes lecteurs. Il faut savoir que les croyances sont omniprésentes dans la vie sous le Sahara. Les Eglises apportent une ouverture culturelle moderne et s'opposent en cela à l'animisme traditionnel plus conservateur qui freine souvent les réorganisations sociales. D'où le poids des Eglises dans ce document, comme reflet de l'importance des croyances dans un processus de développement. Note : ces constatations n'écartent pas le problème moral mais suffisent -pour ma part- à le supporter.

Donc pour ceux à qui les vertues religieuses ne donnent pas trop de boutons, croyants ou non :

Entreprises des pays développés

Parmi les entreprises qui travaillent en Afrique sub-saharienne, certaines le font pour ré-exporter des produits en utilisant une main d'oeuvre moins chère. D'un point de vue local, du personnel est formé, ce qui est positif. Comme ces entreprises proviennent de pays plus développés et s'adressent au final à des clients de ces mêmes pays, elles sont confrontées à un problème moral lorsqu'elles se contentent d'appliquer les standards locaux du travail et de la salubrité. Malgré les effets indésirables, ces contraintes d'excellence sont à mon avis une bonne chose ; car le développement c'est aussi la coopération des sociétés et des cultures. Un développement harmonieux n'a lieu que si chacun agit en conscience.

Des entreprises comme Coca-cola qui produisent là où elles vendent et qui vendent là où elles produisent sont dans une démarche beaucoup plus intéressante. Elles apportent un savoir-faire (technique et/ou organisationnel) et participent réellement, intégralement à l'économie locale.

Il faut tout de même rester vigilant sur certains problèmes notamment d'ordre écologique. Une usine Coca-cola peut par exemple pomper significativement une nappe phréatique, ce qui menace certaines activités présentes et hypothèque un développement à venir. Les populations locales n'ont pas toujours la formation suffisante pour détecter et comprendre le problème, ni les capacités de s'organiser pour se défendre.

Important : le cas des pétroliers et autres entreprises chargées d'extraire des matières premières, est à part. Eux sont bien souvent dans une démarche inverse, à savoir de dépendre le moins possible du pays où ils extraient. Ils font tout pour ne pas s'insérer dans l'économie locale, quitte à financer des infrastructures en échange. Ce ne sont pas des entreprises ordinaires, mais plutôt des acteurs de géopolitique. Cette section ne les concerne pas.

Un peu de politique : le cas de l'agriculture

Même si le pouvoir que l'on a sur nos politiques est très faible, il me parait difficile d'écrire une page sur les aides en Afrique sans aborder le problème de l'agriculture. Les agriculteurs et éleveurs représentent jusqu'à 80% des populations.

Pour beaucoup d'agriculteurs africains, la meilleure des aides au développement serait encore la fin de la concurrence déloyale venant des produits de l'agriculture des pays développés. Pour ce, il faudrait soit supprimer les subventions à l'agriculture de ces pays, soit faire en sorte que les pays africains s'organisent pour instaurer des taxes à l'importation qui compenseraient ces subventions.

Les Citoyens du Monde un minimum solidaires réfléchiront à :

L'activité du FMI parait inconciliable avec les initiatives locales d'organisation. En particulier lorsqu'il pousse à démanteler les structures étatiques qui assurent le ravitaillement en intrants et le rachat des récoltes à des prix relativement stables. Le socle du développement est la confiance en l'avenir. Les agriculteurs et éleveurs n'ont bien souvent ni les moyens ni la formation, pour se couvrir contre les aléas de la bourse. Rendre leur revenu aléatoire, c'est détruire des dynamiques de progrès. A l'heure actuelle, une agriculture relocalisée serait une alternative constructive aux structures étatiques.

Ainsi, selon que vous aimez la politique ou les petites gens, vous préférerez :

Voyages et rencontres

Le développement en Afrique sub-saharienne passe en premier lieu par des évolutions culturelles. Le développement, c'est l'organisation d'une société, c'est aussi l'organisation des sociétés entre elles dans un contexte de mondialisation.

En partant au Tchad en décembre 2003, l'un de mes objectifs était de comprendre pourquoi la situation paraissait si désespérée et visiblement sans progrès. Je me trompais : les sociétés que j'ai rencontrées évoluent au contraire à une vitesse presque inconcevable. Ce que vis et pense un N'Djamenois d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec le quotidien de ses parents 20 ans plus tôt. Et ces derniers vivaient eux-mêmes dans un monde radicalement différent de celui de leurs propres parents.

Richesse et développement ne vont pas toujours ensemble. L'enrichissement est une conséquence du développement qui n'est pas toujours visible immédiatement. Surtout avec nos critères occidentaux. Même si l'enrichissement était le but, gardons à l'esprit que l'organisation serait un préalable. Et la métamorphose de la société est en marche depuis des générations. Des milliers d'années de civilisation sont en train d'être rattrapées à une vitesse qui dépasse l'entendement ! Alors oui, l'Afrique se développe !

La question suivante a alors été : pourquoi ? Comment si vite ?

Eh bien je pense aujourd'hui que c'est grâce aux contacts répétés avec les internationaux. Les employés des associations même les pires, l'immense travail de fourmis des chrétiens, les coopérants de toutes sortes, les voyageurs, les hommes d'affaires, les corrompus, tous participent par leur simple présence à l'assimilation des technologies et des nouvelles manières de s'organiser.

Alors, last but not least, comment contribuer au développement ? Eh bien par exemple en aidant les jeunes à voyager. Un étudiant a l'avantage de pouvoir se passer de confort et de sécurité, ce qui le rapproche des personnes qu'il croisera. Contribuer, structurer, appuyer un projet de voyage en Afrique est à mon sens une des plus belles actions pour le développement du continent. Les rencontres, les échanges culturels qui auront lieu contribueront plus sûrement que bien des actions, à la compréhension mutuelle et à la coopération future des peuples.

Deux pièges sont cependant à éviter :

En conclusion...

Alors déjà, est-il possible d'aider ? Humainement, il est rare qu'un don matériel reçu sans fournir de contre-partie, aide à progresser. Pour l'Occidental présent sur place, une démarche positive est plutôt d'accompagner ou de participer à la vie des individus : donner de son temps ou échanger. Il appartient ensuite au donateur occidental distant, de choisir en toute conscience à quel(s) organisme(s) ira son soutien.

Rester dans un processus de découverte, telle devrait être l'attitude de celui ou de celle qui souhaite s'ingérer à distance dans la vie d'autrui. Admettre que l'on peut se tromper, admettre qu'un choix puisse paraître bon à un moment puis ne plus l'être à un autre. Savoir que chaque action induit à la fois des effets positifs et d'autres négatifs. Ne pas hésiter à évaluer et décider individuellement des actions que l'on soutient, car le développement prend sa source dans la diversité.

Les processus d'organisation des sociétés humaines sont fondamentalement humains, intrinsèquement complexes et ambigus. C'est pourquoi il m'est impossible de proposer ici un "mode d'emploi" pour l'aide au développement. J'ai écrit cette page pour donner les quelques clefs de compréhension que j'ai acquises, n'hésitez pas à me contacter pour me faire part des vôtres. Et maintenant, à vous de jouer !

Notes :

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