Pour approfondir ces sujets, lisez en ligne :
Publié le 10 janvier 2005, mis à jour le 29 décembre 2005.
Développement en Afrique Noire
Pourquoi l'Afrique Noire est-elle en marge du développement mondial ?
Et d'ailleurs, en quoi est-elle à la marge ? Quels sont les moteurs et les freins au
développement dans ces pays ? Je propose ici une approche décousue en abordant ces problèmes
depuis de multiples angles de vue.
Ce document est tiré des divers écrits que j'ai pu lire ainsi que de
ma propre expérience au Tchad. Il n'a aucune prétention d'exhaustivité. J'espère néanmoins
apporter au lecteur occidental des éclairages sur certains fonctionnements des sociétés
d'Afrique sub-sahariennes. Je suis vivement intéressé par toute remarque, exemple ou
contre-exemple.
Mise en garde : ces réflexions sont diverses facettes d'une même problématique, il
serait malhonnête de la part d'un commentateur d'en sortir une sans rappeler les
autres.
Sur les généralisations...
Après plusieurs discussions sur le caractère trop généralisateur de mes propos, il est
bon que je précise ma démarche. L'Afrique est multiple et il existe autant de traditions
que de villages. D'un autre côté, le regard d'un étranger se construit sur les différences
avec sa propre culture. L'Européen
verra des points communs à ces milles Afriques, que les Africains ne ressentent pas. De même
que l'Africain de passage en Europe est en droit de "généraliser" les différences les plus
frappantes qui lui paraissent communes à notre vieux continent. Et même, en comparaison à la
violence des chocs culturels, ses propres différences avec les ethnies voisines de sa région
natale lui paraîtront écrasées. Il sera lui-même tenté de se définir comme un "Africain". Ce
terme qui n'a pas grand sens dans son village, en a pourtant en dehors de son continent.
Pour ceux qui ont construit leur vie dans un pays d'Afrique, mon texte paraîtra parfois à
ce point réducteur qu'il en devient un non-sens. Ce même texte aura plus de sens, du moins
je l'espère, pour les étrangers.
Je suis Européen et mes propos s'adressent aux autres Européens. J'ai écrit cette page
pour partager ce que je crois avoir compris.
Un exemple pour la route : dans une transaction, un commerçant détermine son
prix en fonction du coût mais aussi du niveau social de son client. A part dans quelques
endroits touristiques, il n'existe donc pas de "prix pour les blancs" mais plutôt des "prix
pour les riches". Et même pour être exact, autant de prix que d'appréciations de niveaux
sociaux. Cette notion toute relative de la valeur - que l'occidental mettra souvent sur
le compte du racisme - est au contraire une intégration spontanée du Blanc dans le
système social africain. L'étranger, blanc de surcoit, étant par défaut au niveau social
maximum. Voilà une belle généralisation qui pourrait pourtant être utile à bien des
voyageurs.
Depuis l'Afrique et depuis l'Amérique je me suis senti Européen. En Europe, je me sens
Français. Et en France je suis parisien (hé oui). J'espère donc que vous me pardonnerez
toutes ces affreuses généralisations. N'oubliez pas le point de départ du regard que je
propose sur cette Afrique multiple, ce regard part d'Europe. Les drapeaux
vous signaleront d'où viennent les témoignages que j'ai lus, entendus ou vécus et qui m'ont
inspiré ces propos.
Sur le froid regard...
En relisant ce document je me rends compte qu'il est dur et froid, absolument pas
représentatif des moments que j'ai vécus sur ce continent. Au Tchad et au Cameroun j'ai
habité, mangé, travaillé avec des gens merveilleux qui m'ont accueilli avec tant de
gentillesse... Les souvenirs qui me restent aujourd'hui, c'est le soleil, les larges
sourires, la simplicité, la convivialité, la musique aussi, moins présente que je n'imaginais
mais jamais bien loin. Pour se faire une idée plus correcte de la vie que l'on trouvera
là-bas, mieux vaudrait commencer par des photos, des romans et surtout des discussions
passionnées avec ceux qui en (re)viennent.
Le sujet des lignes qui suivent est le développement, c'est à dire l'organisation
des êtres humains. Et dans ce domaine l'Afrique sub-saharienne est loin, très, très,
très loin derrière les autres continents. A mon sens une poignée de décideurs même
intègres ne peut pas initier l'organisation des hommes, l'organisation commence
nécessairement à une échelle individuelle. Exit donc les Banques Mondiales, FMI et autres
politiques. Exit aussi les ressources naturelles, les histoires de détournement d'argent,
les mafias françaises et occidentales. La haute finance peut influencer la production
une fois les Hommes organisés, mais ne peut pas créer d'organisation. En Afrique plus
qu'ailleurs le développement est un problème culturel et ceux qui sont efficaces sont
ceux qui travaillent à l'échelle locale.
Pour le reste, les lignes qui suivent sont volontairement synthétiques.
Des ONG, certains gouvernements de pays riches, les Eglises financent des microprojets.
Ces microprojets sont autant de petits marchés qui sont pris en charge par des PME
locales.
Les microprojets font tourner l'économie locale.
A N'Djamena (Tchad) avec la généralisation des financements de microprojets par des acteurs
internationaux, les locaux ont une perception décalée de l'entreprenariat. A tel point que quand
un nouveau projet implique une recherche de financement, une recherche de financement signifie une
recherche de dons !
L'économie locale est dépendante de l'aide extérieure.
Un effet positif : grâce à la fiabilité et à la rigueur de certains internationaux payeurs
de microprojets, quelques entrepreneurs tchadiens montent des PME sur des bases honnêtes. Ce qui
n'aurait pas forcément pu avoir lieu dans le tissu économique local.
Des gouvernements de pays riches et les entreprises pétrolières financent la mise
en place d'infrastructures à l'échelle du pays, telles que des routes, des ponts, des
hôpitaux etc.
Les gros marchés de construction sont décrochés par des multinationales (Bouygues, etc.).
Sur l'argent arrivant effectivement à un projet, une partie fait tourner
l'économie locale par sous-traitance et emploi de locaux à la manière des
microprojets. Une autre partie est ramenée au pays de la multinationale.
Le financement de macro-projets induit le financement de
multiples microprojets.
Les financements d'infrastructures sont taxés ou gérés par les pouvoirs locaux.
Le financement de macro-projets va de paire avec la
corruption locale.
L'objectif géopolitique des gouvernements des pays riches comporte un versant politique
et un versant économique. Les pays riches cherchent à conserver leur domination politique
et culturelle à l'échelle mondiale. Ceci se traduit par des voix à l'ONU ou un espace
linguistique élargi. Ils cherchent aussi à s'assurer une importation stable de matières
premières.
La stratégie des pays occidentaux depuis la décolonisation est la stabilisation
politique des pays d'Afrique par le renforcement de l'ethnie au pouvoir. Ceci génère
beaucoup de corruption et de logiques clientélistes, mais aussi des règles économiques
stables à moyen terme. Un système de taxes se met spontanément en place, où chaque petit
chef se sert sur le travail des autres. Ce système freine l'économie mais ne l'anéantit
pas. Aussi peu satisfaisant qu'il soit, il est donc préférable à la guerre civile.
Problème : cette stratégie peut aboutir à des nettoyages ethniques sponsorisés par les
grandes puissances. Par exemple au Rwanda où les génocidaires de 1994 ont été aidés
- et le sont toujours - par l'armée et les politiques français.
A savoir : le maintien d'une ethnie au pouvoir passe par des dons financiers
et / ou une collaboration militaire. En France les politiques disposent d'un
puissant outil : l'APD (aide publique au développement) qui est de fait principalement
distribuée aux pays les mieux pourvus en ressources naturelles.
Une citation de Wolfgang Sofsky, sociologue allemand : "La démocratie suppose
une population qui sache lire et écrire, une classe moyenne qui paie les impôts, une
administration capable de fonctionner - et la pacification de la guerre civile. Si
ces conditions préalables ne sont pas remplies, les élections générales minent bien
souvent la cohésion sociale (...)"
De plus : une démocratie, outre un président et une opposition, suppose un ensemble
de représentants locaux et régionaux qui témoignent de la participation des citoyens
à l'échelle locale.
Une élection présidentielle ne fait pas la démocratie.
A propos de corruption, sans s'étendre sur les régimes politiques de beaucoup
de pays ouest africains, signalons que :
- Au Tchad certains opposants s'opposent surtout dans l'espoir de se faire acheter. Par exemple
le nombre de partisans est un argument de poids pour négocier un poste à responsabilité.
Ou encore, dénoncer le trucage des élections donne l'occasion de demander
réparation ... en argent !
- A leur échelle, un bon nombre de locaux abusent de leur situation dès qu'ils ont
un peu de pouvoir.
La corruption est généralisée et pas seulement dans le
domaine politique.
La perception des biens et d'une vie communautaires n'existe qu'à l'échelle du village.
A d'autres niveaux, tout ce qui n'appartient pas à un individu peut se voir approprié
sans problème moral. Au même titre que les ressources naturelles.
Il est très difficile de mettre en place des
infrastructures publiques.
Exemples : Au Tchad les poteaux électriques en béton armé sont convoités
pour leur armature métallique, de même les tubes métalliques du matériel de sport en
plein air (cages de foot...). Toujours au Tchad les quelques routes goudronnées du pays,
pourtant financées par des internationaux, sont peuplées de barrages routiers illégaux où
des locaux armés prélèvent une taxe sur chaque véhicule de marchandises.
Remarque : à ne pas confondre avec le vandalisme auquel sont confrontés les pays
développés, qui lui relève de la destruction gratuite.
Une petite étude sur l'organisation traditionnelle des échanges commerciaux.
En Afrique de l'Ouest les habitants sont traditionnellement organisés en villages
avec des économies primitives. C'est juste depuis quelques dizaines d'années que les
Africains doivent s'organiser à l'échelle d'un pays et apprendre à utiliser des
outils formels tels que l'argent.
Dans une économie primitive l'intuition remplace le rationalisme.
Dans une société capitaliste, lorsque l'on donne quelque chose on reçoit sa valeur en
argent comme contrepartie. L'argent est une unité d'échange universelle. La valeur en
argent est déterminée de façon rationnelle par la loi de l'offre et de la demande.
Dans une économie primitive lorsque l'on donne quelque chose on ne reçoit rien de
tangible en contrepartie. La contrepartie existe pourtant bel et bien, sous la forme
d'un pouvoir du créancier sur le débiteur. Le plus souvent cela consiste pour le
débiteur d'être au service de son créancier. Pour se débarrasser de ce pouvoir, le
débiteur devra donner quelque chose au créancier pour
combler sa dette. La notion d'intérêt existe aussi : plus un débiteur met de temps à
s'acquitter, et plus il devra donner en retour. Ici les valeurs formelles sont
remplacées par l'intuition. Entre foyers différents, le don tel que nous le concevons
(sans contrepartie) n'existe pas.
Remarque : ce système fonctionne tant que tout le monde se connaît, c'est l'économie
du village.
Remarque : c'est par ce jeu d'échanges de pouvoirs que la cohésion sociale du village
est maintenue.
Analogie à propos de capitalisation : dans une économie capitaliste lorsqu'on
dispose d'un surplus d'argent, on le place à la banque qui s'occupe de le prêter à
ceux qui en ont besoin. Et quand on en a besoin on le récupère, on peut même emprunter
plus que ce que l'on possède. Dans une économie primitive les surplus d'un foyer sont
systématiquement donnés à (ou pris par) d'autres foyers qui sont dans le besoin. Ces
foyers rembourseront leur créancier dès qu'ils le pourront. Ce qui revient au même.
Les croyances traditionnelles sont l'animisme : des divinités et forces naturelles dans
chaque chose, qui sont à l'origine de chaque évènement de la vie, et que l'on tente
d'amadouer via le maraboutisme. Les religieux musulmans, catholiques et protestants se
livrent une course acharnée sur ce terrain "vierge" pour convertir les premiers un
maximum d'individus. En Afrique, les religions sont une couche ajoutée au dessus de
l'animisme. La plupart des Africains sont donc au moins animistes, les athées ou agnostiques n'existent
pas vraiment. Enfin, à l'instar des grandes religions, une multitude de sectes prolifèrent.
Au Tchad, de nombreuses mosquées financées par l'Arabie Saoudite éclosent un peu partout
dans les villages. Les catholiques implantent tout aussi vite des églises. Les locaux ne
financent jamais complètement ni les mosquées ni les églises.
Au Tchad le gouvernement et les employés de l'administration sont majoritairement
musulmans et il est fortement conseillé de se convertir lorsque l'on souhaite y entrer.
Le lycée-collège le plus réputé du pays est l'oeuvre de catholiques, qui affichent
clairement leur but de former à la fois des religieux et des cadres du pays. Plusieurs
dirigeants de pays sub-sahariens sont des membres influents (et influencés) de sectes.
Les Eglises luttent contre leur séparation avec l'état.
Note : la stratégie des musulmans tchadiens est de tout faire pour bloquer
les autres religions. Par opposition l'église catholique se positionne en agent de
développement, et ouvre ses structures aux personnes des autres croyances.
Plusieurs communautés chrétiennes financent et font fonctionner des écoles.
L'enseignement dispensé donne des valeurs communes aux différentes ethnies, et
compatibles avec les valeurs internationales (honnêteté, travail individuel,
tolérance). Les célébrations religieuses régulières participent à ce brassage.
Les religions sont peut-être une solution pour
créer une cohésion au sein des pays.
Dans un pays occidental, un individu construit une maison plus belle que celle du voisin.
Le voisin réagira probablement en construisant chez lui une maison plus belle encore.
Dans un pays ouest africain, un individu construit une maison plus belle que celle du
voisin. Le voisin cherchera probablement à détruire la belle maison. Via des menaces et
de la sorcellerie.
Là où dans les pays développés, la concurrence est source
de progrès, cette même concurrence est source de destruction dans les pays africains.
Au sein d'une maisonnée ou d'un groupe de personne des ethnies tchadiennes que j'ai cotoyé,
le propriétaire d'un objet peut être bien défini. Cependant :
Chacun peut emprunter sans demander la permission ni même prévenir le propriétaire.
L'emprunt donne alors intuitivement du pouvoir au prêteur sur l'emprunteur, mais ce
pouvoir est compensé par les futurs emprunts du prêteur envers les autres.
La responsabilité n'existe quasiment pas en cas de perte ou dégradation. Peut-être
peut-on considérer que le préjudice est compensé par les futures dégradations du prêteur
envers les autres. De fait, personne ne propose ni ne demande jamais réparation.
Dans certaines communautés et en l'absence d'un chef veillant
à ça, l'organisation va se détériorer spontanément jusqu'au minimum vivable.
La sécurité sociale est assurée par la cohésion familiale. Au Tchad les SDF sont quasiment
inexistants. Il est exceptionnel qu'un Africain soit rejeté par la société. Un bémol
toutefois : dans les villes un nombre croissant d'orphelins du sida deviennent des
enfants des rues.
Le partage est une obligation sociale qui rend le donateur socialement plus important.
Mais contrairement à une éthique occidentale, l'initiative vient souvent de celui qui prend. Beaucoup
d'individus vivent ces pratiques comme des contraintes. L'entraide obligatoire pénalise les
réussites personnelles. Ainsi celui qui réussit verra assez vite débarquer des parents
plus ou moins proches, qui vivront à ses crochets tant que les moyens existeront et sans le
moindre problème moral.
En revanche, au sein d'une maisonnée, "communautaire" n'implique pas égalitaire : chaque individu a
un niveau social différent. En fonction du sexe, de l'âge, de la parenté, du statut de visiteur, on est
au dessus ou en dessous d'un autre. Rarement égal. Il y a ainsi un classement que chacun a en tête
intuitivement.
Comme partout, les traditions sont souvent rigides et opposées au progrès. Au village, des
innovateurs dans des domaines économiques ou sociaux risqueront d'être combattus par
de la sorcellerie, des agressions ou même l'exclusion.
Les traditions communautaires promeuvent une société
figée. Une sorte d'égalisation des foyers par le bas, mais où chaque individu a une place.
La majorité des individus que j'ai croisés ont un idéal d'intégrité et d'honnêteté. Mais
cet idéal ne résiste que rarement aux devoirs familiaux.
Dans une famille, lorsqu'un besoin d'argent survient, on fera appel aux membres de la
famille qui peuvent payer en fonction de leur niveau social, du degré de parenté, de la
gravité du problème à résoudre. En pratique un directeur sera tenu de financer les
problèmes les plus graves de sa famille au sens le plus large.
La corruption individuelle est une manifestation de
l'organisation sociale traditionnelle.
Historiquement, les êtres humains ont été des chasseurs-cueilleurs puis des
agriculteurs...
La vie est agréable en Afrique, jamais on ne risque de mourir de froid. Souvent le soleil
tape dur, on se fatigue vite, on passe beaucoup de temps à dormir. Rapporté à une année,
le temps de travail nécessaire pour se nourrir est faible. Traditionnellement les Africains
ne "vivent" pas dans des cases, ils se contentent d'y dormir. Une case est plus proche d'un
abris-dortoir pour la pluie et le soleil que d'un lieu de vie à l'occidental fait pour
endurer les variations climatiques. Des outils simples suffisent pour l'agriculture, tous
sont remplaçables aisément.
La vie est dure dans les pays tempérés. De bons bâtiments sont nécessaires pour
passer l'hiver (la saison froide). Le logement d'une famille est souvent construit
sur plusieurs générations. De fait, les habitants sont habitués à investir sur de
grandes durées. Les outils fabriqués en sont naturellement plus complexes. Dans les
villages, une accumulation de richesses (denrées, outils complexes) suscitant la
convoitise de pillards, les travailleurs doivent s'organiser pour se défendre. C'est
le début d'une organisation de société qui tendra à grandir.
Si certains peuples africains ne sont jamais passés par la
case "moyen âge", ils n'ont aucune raison d'y passer un jour.
Les êtres humains - et la plupart des êtres vivants - ont en commun le souci
permanent d'améliorer leur rendement, c'est à dire de manger (ou avoir) plus et de travailler
moins. Un environnement trop facile affaiblit cette dynamique.
Les pays du Nord sont développés, les pays du Sud le
sont moins. Cette répartition n'est pas uniquement le fruit du hasard.
Les femmes du sud du Tchad ont moins accès à la scolarisation. Elles parlent moins bien
le français que les hommes.
Pour les hommes tchadiens, les femmes ont la réputation d'être infidèles. Elles le sont
parfois à seule fin d'en retirer un peu d'argent.
Au village comme en ville, le rôle de la femme est de s'occuper du foyer (cuisine,
ménage, enfants). Dans plusieurs ethnies, une femme est perçue comme étant la propriété
de son mari. Pour se marier, l'homme doit verser une dote au père de la femme. Suivant
les ethnies, cette dote peut être le plus gros investissement de la vie d'un homme.
Dans les villages d'agriculteurs tchadiens, en saison sèche (8 mois par an) il n'y a
pas de travail, aussi les hommes ne font rien. Les femmes font le ménage et les repas.
En saison des pluies les hommes comme les femmes travaillent aux champs.
En ville le soir du dernier jour du mois on peut voir dans les bars des hommes saouls qui
boivent en une soirée leur paye du mois. Certaines femmes doivent ainsi trouver seules
l'argent pour élever et nourrir les enfants.
La société tchadienne repose pour beaucoup sur le travail
des femmes.
Les bars dansants sont peuplés d'hommes mûrs qui ont un peu d'argent, et de filles
adolescentes qui cherchent à devenir leurs maîtresses afin de se faire entretenir.
La relation inverse (adolescents - femmes mûres) existe aussi. Les parents sont
souvent démunis devant ce comportement de leur enfant.
La prostitution est essentiellement informelle.
Dans les ethnies qui m'ont accueilli, un enfant est corvéable à merci. C'est
lui qu'on envoie chercher de l'eau, faire de petites courses, apporter le repas.
Globalement à la maison les petites filles travaillent plus encore que les petits
garçons.
Ces travaux ont de tout temps été pris en charge par les enfants. Cette forme
d'exploitation est aussi une méthode d'éducation. Très efficace pour préparer
l'enfant à s'insérer dans la société. Les phénomènes des enfants livrés à eux-mêmes,
capricieux ou violents, sont encore peu courants et réservés aux grandes villes.
Actuellement en phase de mutation et d'adaptation
au contexte mondial, les sociétés africaines sont vulnérables. Vouloir à tout prix abolir
le travail des enfants est un objectif radical peu adapté aux contextes africains.
Il reste que, au moins pour les ethnies que j'ai cotoyé, un enfant est sollicité tout
le temps. Il manque réellement de temps pour se consacrer aux études ou développer ses
centres d'intérêts.
Les créateurs d'entreprises dans les villes des pays ouest africains doivent composer
avec une absence de structures économiques et beaucoup de corruption.
Pour un petit entrepreneur, on peut distinguer quelques problèmes majeurs :
- La difficulté à trouver des employés de confiance
- Le vol de matériel de la part des employés
- Le racket de la part des autorités
- Le manque d'infrastructures du pays
A mettre en regard des avantages :
- Au total, l'état prend peu aux entreprises
- La souplesse de l'emploi
- Le peu de formalités administratives ou la possibilité de passer outre (par
corruption).
Le manque de structures économiques laisse la place au
non-droit et à l'arbitraire. Au sein de ce non-droit on retrouve des caractéristiques économiques
libérales.
Le côté libéral permet la rentabilité d'un nombre impressionnant de toutes petites
activités économiques. En revanche plus une entreprise grossit, plus les autorités se servent.
Le non-droit devient alors un sérieux handicap pour l'entrepreneur qui souhaiterait rester intègre.
Remarque : selon les pays, les micro activités économiques ne sont pas toujours prises en compte
par la législation. Auquel cas elles ne sont pas légales, ni comptabilisées. Ce secteur extralégal
représente pourtant l'essentiel du tissu économique des villes.
Les chiffres macro-économiques ne reflètent pas la réalité
des économies africaines.
L'agriculture est un domaine où les pays sous-développés peuvent produire avec des
coûts moindres que les pays occidentaux. Pour éviter que leurs agriculteurs ne
disparaissent, l'Europe et les Etats-Unis subventionnent leur production. Des
produits agricoles sont ainsi exportés moins cher que leur coût de production.
Les pays développés protègent leur agriculture.
Les pays sous-développés suppriment leur protection douanière sous la pression
du FMI et de la Banque Mondiale, et aussi afin d'abaisser le coût de la vie dans
les métropoles. Ainsi tout du long de mon séjour au Tchad et au Cameroun, je n'ai bu que
du lait en poudre Nido (Nestlé), donc produit par les agriculteurs européens. Il
existe pourtant des éleveurs tchadiens, mais qui sont incapables de rivaliser avec
les produits européens massivement subventionnés.
Les produits agricoles occidentaux font de
la concurrence déloyale aux produits locaux.
En conséquence et sous l'impulsion des politiques, des parties entières de pays
se spécialisent dans des cultures d'exportations. Le prix des récoltes dépend alors
de la bourse et se détermine à la récolte. Les populations d'éleveurs et
d'agriculteurs ne disposent pas d'outils de protection suffisamment accessibles,
pour leur garantir un prix à terme.
En Afrique, les cultures d'exportation rendent
le plus souvent aléatoires et fragiles les revenus des agriculteurs.
Dans les pays ouest africains, l'essentiel de la population active travaille
dans l'agriculture ou l'élevage (80% pour le Niger et le Burkina Faso).
L'agriculture est un problème majeur pour le
développement des pays ouest africains.
Les véhicules polluent beaucoup mais sont peu nombreux.
Les déchets sont jetés partout mais il y en a peu (sauf en ville). Ces déchets
(plastiques, métaux, ...) sont digérés par la nature en quelques dizaines
d'années et ne contaminent que l'environnement local.
Or à ma connaissance, le problème écologique le plus important reste la pollution
atmosphérique, qui risque de changer l'environnement durablement et à l'échelle
de la planète.
Du point de vue de l'écologie, la pollution engendrée
par les pays africains est négligeable.
Dans les pays sahéliens en saison sèche, le taux d'humidité de l'air est très bas.
Les déchets se dessèchent tous, rien ne pourri. En revanche en saison des pluies la
pollution de l'environnement local engendre une grande insalubrité.
Du point de vue de la santé des populations locales, la
pollution des villes est une catastrophe lors de la saison des pluies.
Les maladies tropicales frappent les individus de manière aléatoire,
répétée et violente. Du jour au lendemain, celui qui réussi comme celui qui échoue, le riche
comme le pauvre, peut se retrouver dans l'incapacité de travailler et même mourir. Le palu
reste la première cause de mortalité en Afrique centrale. Ce caractère aléatoire et
imprévisible est à mon avis l'une des origines des réflexes fatalistes animistes.
Longtemps dédaigné comme un "système inventé pour décourager les amoureux", le sida fait
maintenant peur. Au Tchad le slogan martelé par les médias est enregistré : "prudence, fidélité,
abstinence" ... mais peu nombreux sont ceux qui l'appliquent.
Le sida est une maladie honteuse qui signifie l'exclusion sociale pour ceux dont
l'infection est connue. Aussi une réaction courante de la part des concernés est de tout
cacher. Au Tchad - pays relativement épargné par le virus - un individu sur dix est
séropositif parmi les 15-49 ans. Autant dire que la maladie est partout. Et pourtant les
locaux évitent si bien d'en parler que l'ampleur du fléau est largement méconnue.
La maladie progresse toujours à cause d'une part des moeurs sexuelles libertaires et d'autre
part du peu de coopération des personnes infectées.
Le décès prématuré d'une telle proportion de travailleurs plombe l'économie.
Note : le coût de la tri-thérapie (23 euros par mois) représente la moitié d'un salaire de
manoeuvre. (du moins au Tchad en 2004, au Cameroun c'est un peu moins)
A savoir : le VIH est peu dangereux pour l'entourage des
séropositifs. La maladie se transmet par voie sexuelle ou sanguine. Mais en temps normal
le virus du sida ne résiste pas 20 minutes à l'air libre. Il se fait aussi désactiver par
la digestion. Il n'existe aucun cas avéré de contamination par les moustiques (notamment
chez les bébés qui sont très exposés).
Le Tchad est l'un des pays les moins avancés dans son développement. Et pourtant,
le chemin parcouru ces 50 dernières années est gigantesque...
1960 |
C'est l'année de l'indépendance. Les tchadiens sont nus ou vêtus de
cache-sexes et organisés en villages / familles de quelques centaines
d'individus. Les quelques villes du pays sont des villes de colons
(blancs), même si une élite noire réduite y vit aussi.
|
1980 |
La guerre civile entre ethnies ravage le pays. Quelques villes grossissent.
La capitale N'Djamena (ex Fort Lamy) atteint les 300 000 habitants.
|
2000 |
Relative stabilité politique imposée. Dans sa manière de vivre et de
s'habiller, le tchadien des villes est plus proche d'un occidental que
du tchadien des villages. De leur côté les habitants des villages
commencent à se vêtir en hardes. N'Djamena compte plus de 800 000
habitants.
|
La société tchadienne progresse à grands pas. Ne pas
se contenter des indicateurs politiques et économiques pour juger son évolution.
Le développement, c'est l'organisation de la société. Travailler au développement d'un pays
consiste à contribuer à son organisation. L'organisation induit la richesse, mais l'inverse
n'est pas vrai. Le don (ie. aide gratuite) vers un pays non développé peut même freiner son
développement par concurrence déloyale contre des activités locales ou par corruption ou
en provoquant des réflexes d'assistanat. Enfin, il peut arriver qu'un pays soit riche sans
être développé.
Le développement n'est pas une histoire d'argent.
Les êtres humains s'approprient les choses par le travail ou l'héritage d'un travail passé.
Voler quelqu'un, c'est lui prendre le fruit de son travail sans donner de contrepartie. Le
pétrole des pays pauvres n'a été planté là par personne.
Le "pillage" des matières premières des pays pauvres par
les pays riches n'appauvrit pas les pays pauvres.
... en fait l'argent du pétrole a des effets similaires à ceux d'un don.
La dette d'un pays pauvre n'est pas la somme des dettes de ses ressortissants, mais l'héritage
d'un gouvernement passé. On peut se demander si une population est responsable des dettes
contractées par un gouvernement non choisi. De plus une dette est en principe faite pour
profiter aux deux parties. Le prêteur, autant que l'emprunteur, espère toujours que la dette
sera remboursée.
En réalité la "dette" des pays pauvres n'est plus une dette,
elle est devenue un outil de contrôle sur la politique des pays non développés.
Ce document est une synthèse de ce que j'ai pu lire et observer. Voici les
conclusions que j'en tire, à titre personnel :
1. Les économies des pays d'Afrique sub-saharienne sont très et même trop intégrées
à l'économie mondiale. Les gouvernements sont autoritaires. Sur certains
points l'histoire est difficile à porter.
2. Mais aujourd'hui si l'Afrique Noire est si peu développée (organisée),
c'est avant tout une question de mentalité (alias de culture, alias de
traditions) des locaux.
3. Justement sur ce point, l'Afrique avance.
Pour creuser les sujets...
Le point de départ de plusieurs réflexions théoriques est un livre d'ethnologie
passionnant :
Age de pierre, âge d'abondance
de Marshall Sahlins
éd. Gallimard
Les informations sur les actions des politiques français en Afrique sont tirées des
très documentés :
Dossiers
noirs de la politique africaine de la France
des associations Survie et
Agir ici
Un site burkinabé militant pour défendre l'agriculture en Afrique :
a b c Burkina
voir la rubrique "Vue au Sud - Vu du Sud" de Maurice Oudet
Un livre sévère qui relève les freins au développement spécifiquement africains. Avec
une mise en garde contre le repli identitaire trop souvent d'actualité.
Négrologie
de Stephen Smith
éd. calmann-lévy
Pour y voir plus clair sur la géopolitique en Afrique, un livre d'espoir avec une
auteur très remontée contre l'aide humanitaire :
L'Afrique
de Sylvie Brunel
éd. Bréal
Un ouvrage magnifique qui retrace l'histoire de la traite européenne :
Les routes de l'esclavage, histoire d'un très grand
« dérangement »
de Claude Fauque et Marie-Josée Thiel
éd. Hermé
Un économiste-chercheur péruvien propose une analyse libérale générale des problèmes
des pays en développement, qui s'applique en partie dans les pays africains les plus
avancés. Un résumé de ses idées est disponible dans son article :
Le
vrai secret du capitalisme
de Hernando de Soto
Deux romans africains se déroulant dans un contexte de colonisation, pour donner
une idée d'à quel point l'Afrique est multiple. Tout d'abord une fiction
réaliste et dépassionnée pour mesurer le néant spirituel et culturel de certaines
peuplades d'Afrique centrale :
Batouala
de René Maran
éd. Albin Michel
... puis un ouvrage célèbre qui raconte une culture musulmane raffinée chez un peuple
peul et le choc de sa confrontation avec un occident matérialiste :
L'Aventure ambiguë
de Cheikh Hamidou Kane
D'accord, pas d'accord ? Réagissez !
Pour réagir à ce document, n'hésitez pas à ajouter un sujet sur
le forum.
© Copyright 2007 Thomas Mur. La reproduction et la diffusion
de ce document sont autorisées selon les termes de la licence Creative Commons
Paternité-Pas de
Modification.