Des êtres humains vivent abandonnés dans les rues des villes occidentales, beaucoup le sont à l'âge adulte. Nombre d'entre eux ont pourtant d'abord vécu « normalement » sans présenter d'aussi profonds troubles psychiques. Pourquoi cette exclusion ?
Des nombreuses causes qui mènent à l'exclusion sociale, certaines sont des conséquences des valeurs individualistes.
Il n'est pas rare d'entendre un sans-abri affirmer préférer vivre dans la rue afin de « ne pas gêner sa famille ». Ce comportement n'est pas spécifique aux sans-abri, il est en revanche caractéristique des individualistes. L'entourage serait-il réellement le plus « gêné » ? Car, s'appuyer sur ses proches, c'est leur donner du pouvoir sur soi-même. C'est devenir redevable et sacrifier sa liberté future. L'individualiste en difficulté espérera jusqu'au bout s'en sortir au moyen de la seule aide administrative. Mauvais calcul ! Si le danger est la perte des liens humains, l'aide administrative n'en fournit précisément aucun.
Le retrait des contraintes personnelles offre à l'adolescent ou au jeune adulte l'opportunité d'affirmer une identité originale. Mais, l'indécision ou le manque de force de caractère peuvent aussi le conduire à « se chercher » sans se trouver… Ou encore, des personnes dont l'entourage est trop réduit s'exposent dangereusement aux coups du sort. Celle-là qui se consacre à l'unique personne qu'elle aime, celui-ci qui n'a pour entourage que son travail et ses collègues, se sentira brutalement inutile en cas d'accident ou de licenciement. À la souffrance découlant de la malchance s'ajoute alors une perte de reconnaissance : la personne n'est utile pour personne en particulier.
D'où qu'il vienne, le manque de reconnaissance engendre un malaise et le malaise peut se transformer en dépression. Le résultat sera de désolidariser un peu plus l'individu de ce qu'il lui reste d'entourage, ce qui ajoute encore au manque de reconnaissance et accentue le malaise. Suivant ses ressources et sa capacité à surmonter ses malheurs solitairement, l'individu partiellement désocialisé sera ensuite mis dans la rue par des événements peut-être surmontables en temps normal.
Telle est la réalité de la « liberté » de l'individu désocialisé : une incapacité devenue pathologique de se contraindre au travers de liens moraux, un besoin de reconnaissance qui entraîne vers l'autodestruction.