Les fonctionnements communautaires et l'individualisme ne sont pas à placer sur un même plan : l'un est un socle, l'autre est un idéal menant à une construction. Des êtres humains ne coexistent pas durablement sans cohésion sociale. Si l'on peut imaginer une société (disons, une association à but ou non lucratif) dont les membres ne seraient liés que par des contrats, du moins serait-elle incluse dans une communauté plus vaste. Mais il ne peut exister de civilisation sans fondement communautaire. Poussée au bout, la fin des contraintes personnelles sonnerait le glas de la cohésion sociale, l'éclatement de toutes les communautés, donc l'impossibilité d'être reconnu et de s'accomplir. Aussi, plus la liberté de s'accomplir est pure, plus l'échec de l'accomplissement est une certitude. L'accomplissement personnel et authentique pour tous n'est donc pas accessible au travers d'un retrait sans compromis des contraintes personnelles.
Or, si l'on veut espérer trouver un peu d'harmonie entre la liberté personnelle et les liens humains, encore faut-il en chercher !
On ne devient pas « soi-même » solitairement puisque la construction d'une identité requiert une reconnaissance de la part des autres qui comptent. D'un autre côté, comment penser librement, comment être vraiment soi si ces mêmes proches auxquels on est attaché jugent et pèsent sur ses propres choix de vie ? La liberté d'être authentique passe certainement par un relâchement de l'étreinte familiale. L'accomplissement personnel est le produit d'une rencontre entre ce que l'on souhaite devenir et ce que les autres attendent ou acceptent. La fonction sociale reste ainsi, où que l'on soit, un aspect inévitable de l'identité. Concernant le choix d'une vocation par exemple, vouloir la choisir uniquement en fonction de soi serait une erreur génératrice d'impasses. Être soi, cela passe par « compter pour autrui ». Cela nécessite de se demander : de quoi ont besoin les autres ? Quel pourrait être mon rôle ? Que puis-je apporter à mon tour ?
Ensuite, au-delà de la nécessaire démarche collaborative de celui qui veut être authentiquement lui-même, le risque accompagnant la liberté — même ramené à une échelle raisonnable — continuera à en mener à l'échec. Alors, quel cadre favorable à la construction de toutes les identités ? Comment adapter des espaces de liberté à la mesure de chacun ? Qui peut veiller et repêcher ceux en danger de perte de liens ? Seules les communautés ont les clefs pour agir, à commencer par les familles. La cohésion communautaire est irremplaçable, comment alors alléger son fardeau ? Quelle sorte de lien dépasse le jugement et sort la relation du jeu des pouvoirs ? Bien sûr cela n'est pas une garantie de réussite mais c'est au moins une condition, l'indifférence individualiste et le jugement communautaire devraient faire place à… l'amour ?