Revenons sur le principe moral de la légitimité de l'habitué et voyons comment il engendre un ordre moral. Selon ce principe, l'habitude et l'antériorité créent une légitimité à reproduire une action.
Prenons l'exemple d'un pêcheur habitué à venir, chaque matin à la même heure et au même endroit, prendre des poissons dans une rivière. Le jour où un nouveau venu se lavera trop près de son lieu et fera fuir les poissons, le pêcheur se sentira légitime à l'éloigner. La priorité serait inversée si le pêcheur venait pour la première fois et si le baigneur était un habitué. Élargissons ce cas.
D'où viennent les habitudes ? En menant à bon terme une action inventée ou copiée sur ce qu'il a observé ailleurs, un innovateur bouleverse l'ordre qui régnait jusqu'alors. Si personne n'a été lésé, cette action sera réitérée de droit (ce droit est moral) par l'innovateur. Une habitude est créée. Un nouvel ordre est établi. Et quelque chose de positif y a été ajouté.
Un échec au contraire aurait perturbé l'ordre sans rétablir de nouvel équilibre. La honte, la mauvaise conscience sanctionne l'individu responsable d'un tel désordre. Ou encore, si l'initiative perturbe une habitude préexistante, la personne lésée manifestera le mal qui lui est fait.
On sent bien comment l'ordre ou encore l'équilibre est du côté du positif, de la moralité. Et à l'inverse, le désordre ou le déséquilibre est du côté du mal, de la mauvaise conscience, de l'immoralité.
Notons dès à présent l'usage interchangeable, dans cet ouvrage, des termes « habitude » et « coutume » ; l'emploi du deuxième signalant un éventuel aspect culturel.
La légitimité de l'habitude est à la source du « droit » coutumier, et en particulier de la notion de propriété : le droit du premier occupant. Elle fait aussi de l'ordre établi un ordre moral.