Le monde change, la monnaie est devenue inévitable et il faut savoir l'accumuler. Or, là où l'assistance est une obligation morale, la thésaurisation est improbable. Des problèmes familiaux surviennent à tout moment. Un compte en banque ou l'équivalent serait donc condamné à demeurer désespérément vide, car le seul motif moral pour ne pas aider un proche dans le besoin est de ne pas en être capable au moment où il le demande.
Une version africaine de la tontine pallie ce dilemme. Afin de reproduire les effets d'une accumulation sans pour autant retenir leurs richesses, plusieurs individus s'associent. À intervalles réguliers, tous mettent une somme d'argent identique dans la tontine et le total est empoché par le membre dont c'est le tour. Par exemple, si cinq membres versent chaque semaine de l'argent, chacun reçoit cinq fois sa mise toutes les cinq semaines.
À l'approche de son jour de réception, l'individu établit un « programme » de dépenses qu'il exécutera à l'instant où il recevra l'argent. La tontine est, en quelque sorte, une manière morale d'économiser : économiser oui, mais sans avoir d'argent.
Les tontines sont vulnérables : le peu de fiabilité des membres — lesquels s'engagent plus sur des intentions que sur un résultat — engendre rapidement des problèmes. Elles rendent cependant de grands services et sont, malgré leur fragilité, considérablement utilisées.