Résumé de « L'empire du moindre mal » de Jean-Claude Michéa

Le 09/10/2008, par Thomas

L'ouvrage de Jean-Claude Michéa s'adresse aux militants socialistes, il souhaite manifestement les faire réagir en les traitant de libéraux. Ce livre est en réalité une critique, vindicative, des progressistes, dont les actuels socialistes sont une branche. Je m'emploie ici à résumer son ouvrage.

L'auteur commence par avertir qu'il jugera le libéralisme sur ses conséquences et non sur ses intentions. Il précise qu'il entend par « libéralisme » le projet moderne de société occidentale, lequel a été mis en place en France après la révolution.

Il distingue deux sources majeures de ce projet moderne, situées dans les siècles qui précèdent la révolution :

  1. Les avancées des sciences expérimentales ont donné du crédit à un monde gouverné par la Raison. Deux conséquences. a) L'idée de Progrès est rendue possible, qui crée une conception de l'histoire sous forme de succession : la modernité a commencé. b) La croyance dans une « physique sociale » qui fonctionnerait toute seule à la manière des mécanismes de poids et de contre-poids du monde physique.
  2. Le traumatisme historique provoqué par les guerres. Et en particulier, par les guerres civiles idéologiques, dont les guerres de religion, considérées comme « le plus grand des maux ».

Aussi, la croyance dans le Progrès trouve moins sa source dans la chrétienté — ou sur des processus historiques inéluctables — que dans l'aspiration à la « vie tranquille », à vivre en paix dans un monde raisonnable. Ce qui caractérise le projet moderne est une idéologie de la lassitude. Une aspiration à éviter le désastre des guerres idéologiques.

L'auteur désigne ainsi par « libéral » un partisan de la civilisation du « moindre mal ». Le libéral préfère donc ce qui est Juste à ce qui est Vrai, pense que l'altruisme est une exception, fait la promotion de l'égoïsme et de la « vie tranquille », etc.

Les mécanismes proposés par les libéraux se passent de vertu (de nature morale donc idéologique), utilisent des vices (par « réalisme »). Il en existe deux qui se renforcent mutuellement :

  1. Le Droit. C'est un ensemble de règles communes, un État limité chargé de chercher ce qui est Juste et non ce qui est Bien. Ici la justice rompt avec celle des anciens régimes, la morale devient privée, elle est bannie de la vie publique. Il s'agit désormais moins de justice que d'ajustement pour viser de moindres maux. La non-nuisance à autrui devient un fil conducteur.
  2. Le Marché. Il est la seule manière, dans cette optique pessimiste, de créer une société pacifique et solidaire. Il génère une croissance, et la croissance des niveaux de vie, en retour, devrait générer une amélioration de la moralité. La croissance est sans limite idéologique car une limite serait nécessairement d'ordre morale.

La promotion de la tolérance dans nos sociétés ouvertes est ainsi, en réalité, moins une incitation à l'ouverture d'esprit qu'une manière minimale et nécessaire de coexister.

Le mythe progressiste d'une société construite sur une vision positive, fille de l'Humanisme de la Renaissance, est une illusion rétrospective.

Le marché fonctionne d'autant mieux que les comportements sont égoïstes et que les vertus morales sont ignorées, ce qui conduit les libéraux soucieux du bien commun à s'obliger à un comportement égoïste. L'auteur note en passant une contradiction dans un argumentaire de Frédéric Bastiat : si la croissance a besoin d'égoïsme, et si elle génère une meilleure moralité, alors elle ne devrait pas pouvoir durer.

Une contradiction plus dangereuse car suicidaire, basée sur des arguments ethnologiques. Le marché libéral fonctionne grâce à des relations « donnant-donnant ». Ces relations impliquent une certaine confiance réciproque, de la loyauté. La confiance repose sur une assise culturelle, la « socialité primaire » créée par les dons et contre-dons. Les relations exclusivement « donnant-donnant » du marché sont donc en train de saper les conditions anthropologiques qui ont permis le marché. [NdM : J'adhère évidemment. Cela fait l'objet de la dernière partie de mon livre.]

L'auteur s'aventure aussi dans des considérations psychologiques. La domination « patriarcale » de l'État (frontale, répressive, visible) est remplacée par la domination « matriarcale » des mécanismes libéraux (indirecte, suggestive par l'amour et la culpabilisation, invisible).

Pour finir, l'auteur remarque que l'empire du moindre mal prétend depuis récemment devenir le « meilleur des mondes ». Il explique ce renversement par deux causes : les avancées du progrès technique est une source d'optimisme qui, même si elle ne porte pas sur la capacité de l'humain à vivre en société, reste un résultat positif. La seconde raison est toute autre. Dans une économie de marché, en perpétuel changement, l'idéologie libérale demande aux travailleurs de continuellement accepter de s'adapter. Or les gens ordinaires sont plutôt conservateurs, ils s'obstinent à vouloir « rester humains ». C'est pourquoi l'aboutissement de l'idéologie libérale n'est plus le pessimisme, mais la création positive et idéale, au final, d'un « homme nouveau ».