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Chapitre 47

Vers un atomisme social

Au quotidien les liens moraux sont affaiblis. Les prix ne dépendent pas des niveaux sociaux des partenaires, ils sont fixés et affichés pour des transactions impersonnelles : les deux partenaires sont quittes de la même manière avant et après la transaction. L'éviction des liens moraux dans les transactions va loin : des technologies d'automatisation des achats épargnent aux partenaires jusqu'à la conscience de l'autre. Même la négociation, pour le peu d'usage qui en est fait, sert à ajuster un prix en fonction de la loi de l'offre et de la demande.

Le don, quant à lui, est sans contrepartie. Pas même le plus petit lien moral. Rendre son prochain redevable, ce serait presque un abus de pouvoir. Immoral. Car alors, derrière le partage se cacherait la volonté de restreindre la liberté du bénéficiaire d'être « lui-même ».

Des bureaucraties sont érigées en intermédiaires de l'entraide. Ces administrations — services publics, assurances, associations — déchargent les familles de leurs vieux, chômeurs et malades. Les relations impersonnelles entretenues par une administration tant avec les donateurs qu'avec les bénéficiaires éliminent efficacement les liens moraux. L'individu contribuable n'étant redevable à personne en particulier, il est libre d'être et de penser comme il l'entend, de se lier et de se délier comme bon lui semble et avec qui il le souhaite. Le proche entourage devient optionnel. L'étreinte familiale se desserre…

L'arrêt des flux de redistribution communautaire conforte du même coup la fin du soubassement moral des inégalités sociales. L'individu, libéré de son entourage, se perçoit comme l'égal de tout autre.

La société pousse ainsi à l'atomisme social : chaque personne se considère de plus en plus comme un atome individuel, libre de penser et d'agir sans forcément prendre en compte son entourage.

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