Il paraît que l'Afrique manque de démocratie.
La démocratie signifie, depuis J.-J. Rousseau, la souveraineté au peuple. Le peuple se gouverne lui-même en recherchant l'intérêt général, c'est-à-dire l'intérêt de tous en tant que communauté. Le fonctionnement des cités antiques reste la référence en la matière. Bien peu de monde serait prêt aujourd'hui à s'investir dans l'autogestion d'une vraie démocratie.
La définition de l'aristocratie est le pouvoir par l'excellence. La professionnalisation du corps politique, si répandue aujourd'hui, est une caractéristique d'une organisation aristocratique.
Le système politique promu par l'Occident contemporain est un système mixte : un gouvernement représentatif est une aristocratie où le peuple dispose d'un pouvoir légal de sanction — par non-renouvellement de mandat — sur ses aristocrates. Le jargon contemporain emploie donc abusivement le qualificatif « démocratique » et l'idée qui se rapproche de la démocratie — un gouvernement sensible au pouvoir du peuple — est dénigrée sous le vocable « populisme ». Certains concepts démocratiques sont en revanche d'authentiques valeurs politiques contemporaines, notamment l'égalité des citoyens devant la loi et la recherche d'un intérêt général plutôt que d'intérêts particuliers.
Et donc, une fois refermée cette parenthèse terminologique, il paraît que l'Afrique manque de représentativité. Voilà qui suscite plusieurs interrogations.
Rechercher l'intérêt de tous avant celui de particuliers, cela implique que tous se sentent appartenir à une même communauté. Là où les identités nationales sont plus faibles que les identités d'autres communautés — ethniques et régionales — comment demander aux électeurs de voter dans l'intérêt général ?
Contrairement aux décisions consensuelles, un vote à bulletin secret affranchit les égoïsmes de tout contrôle communautaire. Libérer les égoïsmes particuliers, est-ce un bon moyen de défendre l'intérêt général ?
L'égalité politique des citoyens — dont le principe « un être humain une voix » — sape une inégalité sociale pourtant vitale pour la cohésion communautaire. Faut-il nécessairement désagréger les communautés ?
Un vote à bulletin secret fait l'impasse sur une parole importante dans les fonctionnements traditionnels. Ce n'est pas l'écrit, dans la tradition, qui donne du sens à un engagement. Se couper des racines du passé, est-ce le bon moyen de légitimer un dirigeant ?
La désignation par les urnes a, en Occident, une fonction de légitimation des gouvernants auprès des gouvernés. Mais en environnement communautaire, une haute personnalité est par nature légitime pour ses communautés puisque son niveau social est associé à sa fonction de gouvernant. Les élections apparaissent alors comme un moment de perte de légitimité — et donc de chute sociale — des dirigeants. Les élections sont-elles l'unique mode « représentatif » de désignation des dirigeants ?
Puisque les électeurs défendent les intérêts de leurs communautés, des élections (mêmes) réussies aboutiraient indéfiniment à la remise au pouvoir d'un ressortissant de l'ethnie ou de la sous-région la plus peuplée. Une partie de la population n'est alors jamais représentée. Peut-on imaginer un dispositif qui favoriserait la coopération des représentants des ethnies ou des sous-régions ?
Au fond, n'y a-t-il que le système représentatif occidental contemporain qui puisse être légitime en toute situation ? Par exemple, des intervenants extérieurs auraient-ils été légitimes à abréger les deux mille quatre cents ans de règne des pharaons en Égypte ?
Il paraît que la « démocratie » fait défaut aux gouvernements africains… ne s'agirait-il pas plutôt de légitimité ? Donc de consensus à l'échelle nationale ? Mais alors, des élections appuient-elles dans le bon sens ?