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Chapitre 9

La valeur de l'effort et du besoin

Observons l'influence des transferts de biens et de services sur les liens moraux.

Lors d'une promesse pour une future prestation, un artisan s'engage moralement envers son client à garder l'intention d'effectuer un travail. Les moyens mis en jeu par ces bonnes intentions dépendent de l'intensité du lien moral l'attachant au client. L'engagement porte, non pas sur un résultat, mais sur un effort par rapport à un besoin. Le temps a une prise sur l'intensité du lien moral. Si l'effort à fournir diminue — car la fortune sourit à l'artisan — ou si le besoin augmente — car le client traverse des difficultés —, alors s'accroîtra la pression sociale pour la réalisation de la promesse. Elle perdra en revanche de son acuité dans le cas contraire.

Au passage, la souplesse d'un tel mode d'engagement s'accommode mal de l'écriture. Un accord écrit n'est pas un sentiment, il ne varie pas avec le contexte. Un accord oral, en partie tacite, est plus adapté.

Et pour la même raison, l'intensité du sentiment généré par le don n'est pas figée. Un don renforce le lien moral attachant le récipiendaire au donateur. Les deux personnes concernées partagent alors le sentiment que le récipiendaire est redevable au donateur : si le contexte ne compense pas, le récipiendaire devient un obligé du donateur. L'intensité de ce sentiment dépend de l'effort consenti par le donateur, conjugué au besoin qu'en avait le récipiendaire. Puis, il perd de sa force ou s'intensifie avec le temps, en fonction de si la fortune sourit à l'un ou à l'autre. Sauf malentendus nés de décalages culturels, cette intuition est partagée de manière précise par les personnes concernées. Tant que les personnes se côtoient, chacun sait intuitivement dans quelle mesure il est redevable de qui et dans quelle mesure d'autres lui sont redevables.

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