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Chapitre 34

La propriété

Toute nouvelle ressource est spontanément appropriée par le premier occupant. Mais ce droit de propriété, découlant de la légitimité des habitudes, est limité par d'autres habitudes issues des nécessaires bonnes intentions envers autrui. Une interdiction d'accès rendrait le propriétaire moralement débiteur vis-à-vis de ceux privés de l'usage. Aussi la ressource est-elle habituellement accessible à tous, moyennant une redevance au propriétaire. Le « droit » de propriété s'inscrit donc dans une logique de pouvoir ; les fonctions de propriétaire, de chef et même de gestionnaire, se confondent.

Tel est le cas de la terre qui, traditionnellement en Afrique noire, n'est pas appropriée d'une manière complète. Le droit de propriété sur la terre est souvent rapproché par les ethnologues d'un droit sur l'usage.

L'entraide contrainte rend de même non exclusif le droit d'usage sur les objets. De surcroît, nous l'avons vu, la dégradation involontaire commise sur un objet emprunté par un proche implique rarement une réparation matérielle, elle s'inscrit plutôt dans le jeu des liens moraux. La situation est similaire à celle de l'enfant forcé par ses parents à partager son jouet avec son petit frère. L'enfant perdrait en légitimité s'il refusait le partage, il n'en reste pas moins véritablement propriétaire. Le petit frère responsable d'une éventuelle dégradation ne serait pas en mesure de réparer, mais son sentiment de culpabilité l'attacherait à son grand frère.

Un propriétaire peut dans l'absolu déclarer exclusif son droit d'usage sur l'un de ses biens. Cette attitude va toutefois lui faire accumuler une dette morale au fil des besoins insatisfaits. Si le contexte ne compense pas, ceux desquels il devient l'obligé viendront tôt ou tard se servir ou en feront un ennemi.

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