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Chapitre 14

Des pouvoirs ajustés

En conséquence du devoir d'assistance, un différentiel de niveau social implique une idée intuitive du flux des richesses qu'il est convenable de transférer. La personne « un peu inférieure » doit en permanence être maintenue « un peu redevable », la personne « très inférieure » peut se retrouver « très redevable » sans pour autant contrarier l'ordre moral. Les flux de redistribution sont donc à ajuster à chaque relation.

De ce point de vue, la signification du don dépend fortement de la position sociale. Ainsi, un don provenant de la personne supérieure renforce le pouvoir de celle-ci sur le récipiendaire inférieur. Un don offert par une personne de niveau inférieur ou égal marque plutôt une reconnaissance de l'autorité ou de la bonne gestion ; en cela, il contrebalance un excès de ce qui est reçu.

Le don s'utilise de la même manière pour résorber le pouvoir généré par une faute. En effet — et nous avions évoqué le cas du pêcheur et du baigneur —, une perturbation de l'ordre moral donne du pouvoir sur le fautif à la personne lésée. Un éventuel don de la part du fautif compensera l'excès de pouvoir, il réintégrera du même coup la relation dans l'ordre moral.

Un transfert de richesse peut aussi et au contraire sortir une relation de l'ordre moral en établissant une créance morale. Ainsi, l'invitation du riche par le pauvre dans le jeu des dons équitables réactive la relation tout en sollicitant d'autres dons en retour. Autre exemple : la somme d'argent échangée par un client contre une promesse de future prestation, dote le client d'un pouvoir « anormal » sur l'artisan. L'artisan se libérera de ce fardeau en réalisant la prestation.

Considérons qu'il existe, dans chaque relation, une position de statu quo où les créances morales sont nulles. Les pouvoirs correspondent alors aux niveaux sociaux. Les dons évoqués ici modifient volontairement une relation par rapport à cette position, soit en la perturbant afin d'obtenir quelque-chose, soit en corrigeant une perturbation. Nous retiendrons que, du fait de son influence sur les liens moraux et de son usage malléable, le don a un rôle d'ajustement des pouvoirs.

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