La pauvreté et l'entraide administrative
L'économiste sur l'Afrique de la Banque Mondiale entame un billet intitulé « Poverty in Africa and elsewhere » par une affirmation que je traduis ici : « Les gens pauvres sont pauvres à cause de l'échec des marchés et de celui des gouvernements ». En effet, on est pauvre lorsqu'on n'a pas accès aux produits de première nécessité ou, et l'auteur insiste là-dessus, aux soins.
Un système de santé n'est pas neutre sur le plan des valeurs culturelles. En se substituant à l'entraide familiale, une administration desserre les liens qui unissent les membres des familles. Chacun devient alors plus libre d'orienter sa vie sans prendre en compte son entourage : c'est l'individualisme. Lorsque l'individualisme croît à l'échelle d'un pays, il en résulte de l'innovation, du progrès, c'est-à-dire les conditions culturelles de l'entreprenariat occidental moderne. En Occident, les systèmes administratifs d'entraide sont-ils la cause ou la conséquence de l'individualisme ? Je pense les deux à la fois. Un système de santé administratif a donc un effet indirect sur l'économie d'un pays : en affaiblissant les structures familiales, il provoque un changement d'ordre culturel et ceci en faveur de la production.
Intéressons-nous au sens du mot « pauvreté ». La pauvreté est un sentiment relatif, on est pauvre par rapport à d'autres qui sont perçus comme plus riches. La pauvreté est inhérente au monde vivant, non pas à cause d'imperfections dans les marchés ou les gouvernements, mais parce qu'il existe forcément des mieux lotis. À l'intérieur d'un pays développé, des gens s'estiment plus pauvres que leurs voisins riches, mais moins pauvres cependant que le reste du monde.
Venons-en à la misère. Ceux qui n'ont pas accès aux produits de première nécessité et qui ne peuvent se soigner, ceux-là sont plus que pauvres, ils sont miséreux. En Afrique, la première cause de la misère est la guerre.
En temps de paix, l'impact des administrations sur la misère est discutable. L'entraide administrative concerne les villes en premier lieu, focalisons-nous donc sur la misère citadine. L'auteur cite le Tchad pour la faiblesse de ses investissements publics dans la santé. À N'Djamena en 2004 (avant la guerre), la poignée de « fous » (clochards) visibles n'atteignait pas, loin s'en faut, les dix mille clochards qui peuplent les rues de la région parisienne en France. Or les clochards occidentaux sont, pour beaucoup, un produit de l'individualisme et du délitement des familles. Au Bénin je vois plus de fous, mais cela reste sans comparaison avec les villes occidentales. Les divers degrés de « folie » des grandes villes africaines sont éclairants : l'Afrique assimile les valeurs occidentales à d'inégales vitesses, mais toujours les bons et les mauvais côtés à la fois.