Copie de créations numériques

Mis à jour le 23/11/2009 (posté le 25/02/2009), par Thomas

Les technologies modernes permettent de dupliquer et transporter n'importe quelle information pour un coût quasiment nul. Or certaines créations sont constituées uniquement d'informations : la musique, les films, les logiciels et le contenu des livres. Afin de reconstituer les caractéristiques d'un marché physique et de vendre ces créations à la manière des pommes sur un marché, le copyright a été inventé, qui interdit la copie. Le copyright est donc contre nature : il va à l'encontre de la nature des créations numériques.

Le copyright n'est pas satisfaisant puisqu'il ne fonctionne pas. Il est, de plus, un frein à la circulation de la connaissance. L'entreprise américaine Google est en train de passer en force, et reproduit des livres sur Google Books malgré les copyrights. Des lois sont en train d'être votées en France, et qui sanctionnent les internautes qui téléchargeraient illégalement des films. L'enjeu du débat sur les copies de créations numériques est, comment les créateurs peuvent-ils se rémunérer ?

La rémunération par des publicités

La tendance actuelle sur les sites Internet est de se rémunérer au moyen de publicités : les créations numériques sont mises à disposition gratuitement et servent simultanément de panneaux publicitaires.

Ce système, remarquons-le, ne fonctionne que parce qu'il existe une économie de biens physiques par ailleurs. Les créations numériques s'appuient ici sur la vente de biens physiques pour récupérer une rémunération. Ce système subordonne l'économie des créations numériques à l'économie des biens physiques. On peut donc anticiper que, au fur et à mesure de l'accroissement du volume des créations numériques, ce mécanisme sera mis en défaut. Les publicités comme rémunération ne sont donc pas généralisables.

Les licences « copyleft » et les dons

Des créateurs prennent acte de la nature dupliquable du fruit de leur travail et décident d'en autoriser la reproduction et la diffusion. Des licences ont été écrites à cette fin, dites de « copyleft » (ou « libres » ou « ouvertes »), elles détournent le copyright afin de garantir la libre diffusion des créations. Suivant un principe analogue, quelques grands chanteurs offrent aussi leur musique en téléchargement libre. Il s'agit d'une économie du don : les créateurs donnent leur travail, les consommateurs choisissent ou non de rémunérer les créateurs.

En pratique, par ce moyen, seuls les créateurs les plus connus et les plus aimés peuvent espérer une rémunération à hauteur du travail accompli. Les autres doivent se contenter de trouver satisfaction dans le partage altruiste de leur création. La rémunération sous les licences libres, dans le cadre d'une économie des créations numériques, n'est donc pas généralisable.

Ce que peut la conscience

Lorsqu'un sans-abri fait la manche dans la rue, il reçoit des dons de, par exemple, cinquante centimes d'euro. Pourquoi quelqu'un d'ordinaire lui donne cet argent ? Par pitié, par un sentiment de devoir, par gêne ? Cela le regarde, c'est en tout cas sa conscience qui lui dicte son comportement.

Le sujet qui nous préoccupe n'a rien à voir avec l'exclusion sociale, pas plus qu'avec la mendicité. Retenons néanmoins que notre conscience peut exiger de nous cinquante centimes d'euro.

Ce que peut le client

Les créations numériques dans le système physique — livres, films, albums de musique notamment — sont globalement vendues entre dix et vingt euros. Lorsqu'il ne respecte plus les copyrights, je pense qu'il est raisonnable d'estimer qu'un consommateur écoute entre dix et cent fois la variété de musique qui lui était accessible du temps des produits physiques. Admettons cet ordre d'idée.

S'il souhaitait rémunérer les créateurs dont il utilise le travail, notre client est donc désormais en capacité de payer entre dix centimes d'euro et deux euros chacune des créations qu'il utilise.

Une distribution décentralisée

Les copyrights mis à part, d'un point de vue technique, il est devenu possible pour n'importe quel internaute, depuis n'importe quel point de la planète, de se procurer n'importe quelle création numérique. Et ceci pour un coût presque nul. Si les créations se répandent aussi aisément et quasi-gratuitement, c'est parce que la distribution est décentralisée. Les productions numériques ne sont pas de même nature que les productions du monde physique. Les deux sont réelles, mais l'une est dupliquable et transportable pour un coût insignifiant, l'autre ne l'est pas. Il ne faut donc plus voir l'informaticien qui vend son logiciel comme l'agriculteur qui vend ses pommes au marché. Le client d'une création numérique se charge le plus souvent lui-même de se la distribuer, au travers d'Internet ou par des moyens plus conventionnels. Un amateur de musique par exemple, de passage chez ses amis, recopie directement des morceaux de musique sur son lecteur MP3. C'est toute une partie du secteur de la distribution qui devient obsolète. Une conséquence immédiate est que le moment du paiement ne peut pas correspondre au moment d'acquisition du produit.

Tout travail mérite salaire

Quelle solution pour rémunérer les créateurs de produits numériques ? La rémunération par publicités n'est pas généralisable. Les licences « copyleft » sont du domaine du don et ne sont pas non plus généralisables. Les créations numériques n'ont pourtant pas de raison d'échapper à la sagesse de nos adages : « tout travail mérite salaire ». Tout créateur est en droit d'espérer une rémunération de la part de ceux qui bénéficient de sa création. Alors quelle solution ?

Récapitulons. Nous avons un client en capacité de payer entre dix centimes et deux euros. Il s'est déjà chargé de récupérer, à ses frais et d'une manière décentralisée, notre produit. Nous savons qu'il est prêt à payer cinquante centimes sous la pression de sa conscience. Il suffirait donc, en quelque sorte, de tendre la main pour recevoir la pièce.

Voici une solution telle qu'elle m'apparaît. Notre client sait utiliser Internet. Le paiement doit être à portée de sa main : il importe que l'opération lui prenne juste quelques secondes. L'impératif de simplicité demandera probablement des « prix standards », toujours les mêmes, mettons, à dix ou cinquante centimes d'euro. Afin de répondre à ce besoin, il faut construire des « marchés numériques », c'est-à-dire des sites Internet de régularisation des produits numériques utilisés. Cela pourrait fonctionner ainsi : pour chaque client, pouvoir faire une promesse de paiement en deux clics. Une fois accumulés dix ou vingt euros d'acquisition, ou bien périodiquement, lui proposer d'effectuer le paiement des promesses accumulées. Et lui conserver un historique imprimable des produits payés.

Ensuite, me direz-vous, comment sera partagé le montant payé par le client ? Eh bien, voilà qui regarde ceux qui contribuent à la création.

Notons que ce nouveau marché est souhaitable. Le marché physique ne peut pas rémunérer tous les créateurs de produits numériques à hauteur du travail accompli. L'effet de rareté des produits physiques rend ainsi quelques créateurs extraordinairement riches, quand les gains de la plupart des autres créateurs sont insignifiants ou nuls. Le marché numérique rémunérera tous les créateurs utiles à un niveau plus raisonnable. Les adversaires du marché numérique seront à mon avis les distributeurs, qui y perdent leur utilité, ainsi que des artistes au sommet de leur réussite.


Notes

Du point de vue du droit, je recommande la lecture de Maître Eolas sur les droits d'auteur.

Sur l'opposition de Google aux copyrights, avec Google Books, une compilation d'informations ici.

Les licences Creative Commons sont parmi les plus classiques des licences « copyleft ».